Ramy Shaath 12 février 2023

Pour saisir les enjeux de l’offensive qui se prépare contre Rafah, il faut sans doute revenir de nouveau à la réunion qui s’est tenue, à Paris le 25 janvier dernier, entre les responsables des Services de Renseignement étatsuniens, français, israéliens, égyptiens et qatariens. Ils se sont entendus pour que la proposition d’accord sur une trêve échoue. De même qu’a été décidé d’avoir recours à l’arme de la famine pour exercer une pression sur les Palestiniens en réduisant drastiquement le nombre de convois humanitaires de l’UNRWA. Cette opération a pris prétexte du blocage du point de passage vers Gaza par des extrémistes israéliens et elle a nécessité la réduction du financement de l’agence.  Depuis une dizaine de jours, non seulement, plus aucun camion, acheminant nourriture et médicaments, n’arrive au nord de Gaza et à Gaza City, mais ont été bombardés les derniers entrepôts de nourriture de la région, abandonnant à une faim certaine plus de 100 000 Palestiniens.

La stratégie a consisté à rendre Hamas seul responsable de cette situation. La nature intenable des conditions élaborées à Paris concernant le cessez-le-feu a été en effet préméditée en vue de provoquer son rejet par les représentants du Hamas. Ces derniers n’ont pas manqué de faire des contre-propositions qui ont toutes essuyé un refus catégorique d’Israël, soutenu entièrement par les Etats-Unis. Parmi elles, s’est trouvée l’exigence, toute logique, de garanties quant à la pérennité du cessez-le-feu. Ils ont également demandé la libération de 1500 prisonniers, en spécifiant le nom de 500 d’entre eux. Par ailleurs, le Hamas a défendu l’impératif de l’acheminement immédiat de matériaux de construction, sans lesquels il serait impossible de reconstruire logements, hôpitaux et autres infrastructures minimales.

C’est ainsi qu’il faut comprendre comment les conditions favorisant l’offensive contre Rafah ont été préparées. Les Etats-Unis ont donné leur feu vert à l’offensive, mais ils font mine d’avoir quelques divergences avec Israël, en vue de redonner de la popularité à Joe Biden et d’anticiper d’éventuelles poursuites devant la Cour Internationale de Justice.

L’offensive aurait été annoncée d’ici deux semaines. Cette échéance est à prendre au sérieux car un certain nombre de pays arabes, à l’instar de l’Arabie Saoudite et l’Egypte, redoutent que cette attaque ne soit pas achevée avant le mois de Ramadan, sans quoi elle attiserait la colère populaire dans toute la région. Il semblerait que les autorités égyptiennes aient accepté que l’armée israélienne s’introduise par le corridor de Philadelphie, qui longe la frontière avec l’Egypte, afin d’imposer un blocus complet de la ville de Rafah. La seule condition exigée en contrepartie est de ne pas provoquer de déportation des Palestiniens vers le Sinaï.

Notre responsabilité est tout d’abord de dénoncer cette campagne justifiant la poursuite du massacre au nom d’un soi-disant refus du cessez-le-feu par le Hamas. Par ailleurs, il faut bien saisir le rôle actuel de l’Etat français. Comme d’autres Etats, il a été informé par Israël de sa décision d’attaquer Rafah d’ici deux semaines.  C’est pour cette raison qu’il évacue ses derniers ressortissants de Rafah avant l’offensive terrestre et la fermeture du point de passage avec l’Egypte. Il faut savoir que la France est l’un des rares pays européens à demander l’autorisation de sortie à l’Etat d’Israël de ses propres ressortissants. Nous le savons car quatre noms ont été refusés sur une liste précédente, et sans aucune justification. Par ailleurs, son rôle a été de pousser le Hezbollah à ne pas augmenter ses pressions contre Israël, mais sans succès. Il faut donc envisager encore possible une escalade de la violence dans la région, et cela malgré l’ensemble des manœuvres étatsuniennes et européennes au service de la poursuite du massacre du peuple palestinien.

La situation est claire : un million et demie de personnes sont coincées à Rafah, sans possibilité de se rendre ni du côté de l’Egypte, ni du côté du nord de la Bande de Gaza. Il est à penser que les Israéliens vont imposer des routes sécurisées à l’intérieur même de Gaza, soit vers le nord, soit vers le sud, soit vers l’est, soit vers l’ouest, et cela dans le but d’exacerber davantage les souffrances et le chaos. Cette bataille qui vise à « briser les os » et qui devrait durer trois semaines, va assurément déterminer la suite des événements. Le temps est donc compté et doit servir à faire changer radicalement la position de la France, ce qui suppose, de notre part, une plus grande radicalité de nos actions.