Un cessez-le-feu magistralement obtenu par le peuple palestinien et sa Résistance
Considérations sur les avancées et les risques présents et à venir par Ramy Shaath
17 janvier 2025
Les facteurs décisifs de la conclusion du cessez-le-feu
Les informations qui circulaient depuis trois semaines laissaient entendre que nous nous rapprochions sérieusement d’un cessez-le-feu. Ses termes sont similaires de ceux de la proposition effectuée en juillet dernier et mise en échec en août. Plusieurs raisons ont joué de manière déterminante dans sa conclusion cette fois-ci. La première et principale raison se trouve dans la ténacité magistrale de la Résistance sur le champ de bataille et à l’épreuve de la durée. Netanyahou était convaincu de pouvoir forcer la Résistance à lâcher les prisonniers israéliens, par la seule pression militaire excluant tout échange de prisonniers. Ce pari a totalement échoué tout au long des 15 derniers mois. De même qu’il pensait contrôler les principaux axes de Gaza en vue d’assurer une présence permanente dans l’ensemble de la Bande. Loin de ces velléités, les attaques de la Résistance contre les soldats israéliens ont été quotidiennes. Pas moins de 60 d’entre eux ont été tués ou blessés dans le nord de la bande de Gaza. Malgré le génocide et l’orchestration de la famine, la Résistance a mis en échec le fameux « Plan des généraux » prévoyant de détacher la partie nord du reste de Gaza et de l’occuper de manière permanente. L’échec de la poursuite du génocide et de la tentative de déportations a forcé Netanyahou à consentir à conclure un cessez-le-feu avec la Résistance. Sur le compte de celle-ci, il faut ajouter sa réussite à creuser une véritable division au sein de la société israélienne, plus particulièrement dans les rangs de son armée. Des pressions ont été en effet exercées par cette dernière sur le chef du gouvernement afin qu’il ne se dégage pas de l’accord négocié, et cela en menaçant d’un éventuel retrait de la bande de Gaza. Après cette première et décisive raison liée à la Résistance, il faut évoquer bien entendu le rôle éminent du Yémen qui a poursuivi inlassablement ses attaques sur ladite « profondeur stratégique israélienne », conduisant à ce que des centaines de milliers de colons courent quasi quotidiennement se cacher dans les abris. Sans compter que ces attaques rendent impossible une véritable reprise de la vie économique, en dépit pourtant du retrait réussi du Liban de l’équation militaire. La troisième raison porte un nom : Donald Trump. Ses priorités stratégiques et géostratégiques ne se trouvent pas en Palestine, mais sur le front intérieur contre les démocrates et sur le front extérieur contre la Chine. C’est précisément pour cette raison qu’il voulait mettre un terme au conflit. Cette détermination s’est lue dans les menaces adressées à Netanyahou et l’imposition d’une réunion de travail en plein Shabbat.
L’accord signé se décompose en trois étapes. La première organise l’échange de prisonniers israéliens principalement civils, au nombre desquels des enfants, des personnes âgées, des malades et des femmes, contre des prisonniers palestiniens répondant aux mêmes critères. L’étape suivante prévoit un nouvel échange de soldats israéliens contre des prisonniers palestiniens. La dernière étape qui correspond à la phase ultime concerne la reconstruction de Gaza et la mise en place de son administration. Seule la première phase est la plus détaillée, tandis que les deux autres sont encore dans un état inabouti.
Les conditions du retrait de l’armée coloniale
La première étape prévoit également le retrait de l’armée israélienne, la fin de toutes les opérations militaires, ainsi que celui du survol d’avions et de drones de surveillance, pour une durée approximative de 12 heures, les jours où s’effectuent les échanges de prisonniers. L’ensemble des retraits doit débuter à partir du septième jour de l’entrée en vigueur du cessez-le-feu. Le retrait progressif de la bande de Gaza commence par les zones densément peuplées, pour ensuite s’appliquer aux zones frontalières dans le sud et l’ouest de la bande de Gaza. Les forces d’occupation doivent reculer jusqu’à une zone à l’intérieur même de la Bande, se situant à environ 400 à 700 mètres de sa bordure initiale, qui servira de zone tampon. L’obtention d’un tel retrait géographique a exigé énormément de temps car les Israéliens tenaient absolument à contrôler des territoires se situant à au moins un kilomètre et demi à l’intérieur de la bande de Gaza à partir des frontières initiales. Est prévu également le double retrait de l’axe de Philadelphie le long de la frontière avec l’Egypte et de celui de Netzarim qui coupe la bande de Gaza en deux. En conséquence, le point de passage de Rafah avec l’Egypte sera ouvert à partir du septième jour, permettant à la fois l’évacuation des malades et blessés graves et l’entrée d’équipes médicales, de journalistes, entre autres. Autrement dit, au septième jour, la présence militaire sera réduite sur le couloir de Philadelphie, tandis que sera réouverte la route côtière Ar-Rachid. Ce n’est qu’au bout du 21e jour que le retrait du couloir de Netzarim se poursuivra avec celui de la route centrale et longitudinale Salah Al-Din ainsi que le rond-point du Koweït.
300 camions doivent parvenir dès le premier jour dans le nord de Gaza, tandis que les gens pourront commencer à y rentrer à partir du septième jour, obligés de traverser donc une zone encore contrôlée par l’armée coloniale, et qui le sera, comme déjà indiqué, jusqu’au 21e jour. Le retrait complet de l’armée du couloir de Netzarim impliquera le démantèlement de l’ensemble des bases et des installations militaires qui y sont localisées dans un délai qui ne doit pas dépasser 50 jours après le début de la mise en application de l’accord de cessez-le-feu. Il faut admettre que le Hamas n’a pas réussi à obtenir des cartes précises figurant les différentes étapes du retrait de l’armée israélienne des deux axes de Netzarim et de Philadelphie. L’absence préjudiciable de cartes, car pouvant jouer en faveur d’Israël, a été imposée au Hamas par les intermédiaires des négociations.
La libération des prisonniers palestiniens
Les négociations concernant le volet des prisonniers ont été particulièrement âpres. Ainsi, les critères de sélection des premiers prisonniers israéliens échangés ont fait l’objet de tractations cherchant à entretenir une confusion volontaire de la part de Netanyahou entre civil et militaire. Parmi les 33 prisonniers, il y a 25 civils, hommes et femmes, auxquels ont été ajoutées 7 femmes qui faisaient leur service militaire, sans être engagées dans l’armée dédiée à la protection des colonies et du pourtour de la bande de Gaza. Netanyahou a insisté pour qu’elles soient catégorisées comme des civiles. A été joint à cette première liste le nom de deux soldats prisonniers aux mains de la Résistance depuis 2014, mais dont le cadavre de l’un d’entre eux a finalement été retrouvé tout récemment par l’armée israélienne. Contre chaque femme civile israélienne seront libérées 30 prisonnières palestiniennes, tandis que chacune des 7 militaires et chacun des deux soldats, vivant et mort, seront échangés contre 50 prisonniers palestiniens. Parmi ces derniers, figurent 30 condamnés à des peines à perpétuité et 20 à des peines très lourdes. Ce qui donne un total de 1737 prisonniers palestiniens recouvrant la liberté lors de la première étape. Au moins 1000 d’entre eux ont été capturés à Gaza après le 7 octobre, sans faire partie des combattants. Gain considérable, le Hamas a obtenu la libération de 290 condamnés à perpétuité sur les 563 qui sont détenus dans les prisons israéliennes ainsi que celle d’environ 400 prisonniers purgeant des peines très lourdes. Concernant le premier groupe, 50 d’entre eux sont interdits de retour en Cisjordanie, pour être expulsés à Gaza ou déportés hors des frontières de la Palestine. Nael Al-Barghouti a annoncé qu’il refuserait sa libération si elle se payait d’une déportation. La deuxième phase prévoit la libération de 100 autres prisonniers condamnés à la prison à vie, mais leur cas n’a été encore tranché car jugé problématique. Parmi les libérés, notons la présence de 48 prisonniers qui avaient été réincarcérés après avoir été pourtant libérés dans l’échange contre le soldat Shalit en 2011. Il faut ajouter que la totalité des femmes palestiniennes emprisonnées par Israël recouvrent la liberté. Le Hamas a obtenu une autre concession majeure qui est la libération de membres de toutes les factions palestiniennes.
L’aide humanitaire
Dès le premier jour, doivent entrer 600 camions dont 300 à destination du nord et 50 acheminant le carburant, à même de rétablir un peu de courant dans l’ensemble de la bande de Gaza. Un certain nombre d’entre eux seront chargés de tentes ou des sortes de bungalow en guise d’habitats de fortune.
La première phase prévoit l’évacuation sanitaire de malades et de blessés civils. Il est tout de même question de la possibilité, lors de la phase suivante, d’évacuer les combattant palestiniens blessés.
Ce qui concerne la deuxième phase
A partir du 16e jour, débuteront les négociations pour donner corps à la deuxième étape, et cela, jusqu’au 35e jour. Cette étape doit examiner le sort des 66 soldats israéliens aux mains de la Résistance et celui des prisonniers palestiniens les plus connus et importants. Elle doit également correspondre au retrait total de l’armée coloniale de la Bande de Gaza. Les intermédiaires sont censés garantir les conditions du respect du cessez-le-feu, et cela, en dépit d’éventuels retards dans les négociations relatives aux phases suivantes.
Les premiers enseignements de la signature du cessez-le-feu
La Résistance a incontestablement arraché un accord bien plus avantageux que n’importe quel autre accord obtenu contre l’ennemi israélien. Celui-ci a tout simplement échoué dans l’ensemble de ses objectifs de guerre qui étaient les suivants : la reprise de leurs prisonniers par la force exclusive ; le contrôle de la bande de Gaza, ou du moins, l’occupation durable des points de passage de Netzarim et de Philadelphia. Les termes de l’échange de prisonniers sont à l’avantage de la Résistance au regard tant du nombre que de la qualité des prisonniers palestiniens libérés. Bien entendu, la cessation des massacres, même de manière temporaire, constitue l’acquis le plus précieux, permettant à notre peuple et à la Résistance de souffler. Celle-ci pourra se reposer et se réorganiser. Toutefois, l’accord comporte un certain nombre de tensions voire de menaces. A commencer par le caractère provisoire et non définitif de la cessation des bombardements et des combats. Ainsi, la fin définitive des opérations militaires ne serait actée qu’après la phase deux de l’accord. Netanyahou a déclaré se réserver la possibilité de reprendre la guerre si les négociations concernant la deuxième phase n’aboutissaient pas, se prévalant d’un appui en ce sens de la part de Trump. Le retour des Palestiniens au nord de la bande de Gaza, prévu à partir du septième jour, est entouré d’incertitudes. Il est conditionné au fait qu’ils ne soient pas porteurs d’armes, sans que rien dans l’accord ne précise comment les vérifications se feront. Israël aurait voulu contrôler lui-même ce retour, mais il est prévu que la mission soit confiée à une force internationale. Si le Hamas a obtenu cet échec, il n’empêche qu’aucun article clair n’indique les modalités de la vérification.
La réouverture du point de passage de Rafah à partir du septième jour suscite, quant à elle, une question épineuse. Qui administrera le point de passage du côté palestinien : l’Egypte, l’Autorité palestinienne, le Hamas ou une force internationale ?
Point plus problématique encore, il n’existe pas de lien clairement bien établi entre les deux premières phases de l’accord de cessez-le-feu, pas plus que de garanties suffisantes. Qui et qu’est-ce qui pourrait empêcher Netanyahou de reprendre la guerre après la première étape ? Certes, les intermédiaires se portent garants, mais les Etats-Unis, l’Egypte et le Qatar sont loin d’être de véritables garants. La seule et unique garantie à l’application du cessez-le-feu est le maintien des capacités de la Résistance à se battre contre Israël en cas de viol de l’accord. L’autre garantie est le caractère graduel de l’échange des prisonniers, renvoyant, après la première phase, le sort des 66 soldats prisonniers, dont certains sont des officiers et des hauts gradés.
Outre la joie éprouvée lors de l’annonce du cessez-le-feu à Gaza et partout en Palestine, une fierté énorme est de mise puisque nous ne sommes pas rendus, nous ne sommes pas rabaissés et nous avons réussi à imposer nos conditions pour l’accord de cessez-le-feu.
Les dangers qui menacent
Tous ces sentiments se mêlent amèrement à celui d’avoir été abandonnés, par les pays arabes voisins et même par la Cisjordanie, aux massacres sans répit pendant quinze mois. S’ajoute la conscience de la persistance de très nombreux dangers. Le premier danger émane de Netanyahou et de sa volonté de faire capoter l’accord en vue de reprendre la guerre dès la fin de la première phase. Le deuxième danger tient au maintien du siège de Gaza, orchestré conjointement par Israël et l’Egypte, et cela même si le cessez-le-feu finissait par être respecté dans toutes ses lignes. En effet, la reconstruction et l’installation d’une administration, objets de la troisième phase, se verraient soumises à des pressions alarmantes de la part d’Israël et d’autres pays. L’Etat sioniste pourrait tenter d’obtenir par la pression politique ce qu’il n’a pas pu obtenir par le fait militaire. Le troisième danger, plus grave, est que les efforts militaires puissent être désormais détournés vers la Cisjordanie. En 2024, on a déploré plus de 850 martyrs et au moins 10 000 prisonniers. Les invasions et les combats ne cessent d’y gagner en intensité dans les villes et les camps de réfugiés. En contrepartie du cessez-le-feu, Netanyahou a promis à Smotrich des financements considérables destinés à la construction de nouvelles colonies en Cisjordanie. Une autre menace à ne pas négliger concerne la politique de Trump, qui veut certes mettre fin à la guerre pour les raisons déjà avancées, mais qui entend également parachever la normalisation entre Israël et l’Arabie Saoudite. Sans compter le fait qu’il est prêt à reconnaître l’annexion de 60 % de la Cisjordanie, ce qui correspond à ladite zone C, déjà sous contrôle israélien. Certes, l’accord de cessez-le-feu constitue une victoire morale pour le peuple palestinien, confirmé dans ses qualités de peuple résistant et résilient. Toutefois, la phase suivante s’annonce extrêmement périlleuse puisque la Cisjordanie est en danger plus que jamais.
Notre devoir est de continuer à nous mobiliser en soutien au peuple palestinien et à sa Résistance, tout en accroissant les pressions sur l’Etat colonial d’Israël, afin de permettre par ricochet au peuple et à sa Résistance de disposer de bien plus de latitudes afin de continuer à s’organiser. Notre mission est d’accentuer la délégitimation d’Israël face aux tentatives de le normaliser et le relégitimer en dépit du génocide.