Ramy Shaath, propos prononcés dans une intervention orale le 26 février 2024
La pression criminelle contre les civils palestiniens est la seule réponse des sionistes et de leurs alliés à la pression militaire persistante de la résistance palestinienne et arabe
Depuis la décision de la Cour Internationale de Justice, la situation à Gaza ne cesse de se durcir puisque nous déplorons, depuis le 26 janvier, 3500 martyrs et 5600 blessés, soit une moyenne de 120 martyrs 200 blessés par jour. Quant à l’approvisionnement des denrées alimentaires, il a été réduit de moitié. La famine qui s’abat sur tout Gaza, et davantage dans le nord, menace indiscutablement 700 000 personnes. Depuis la semaine dernière, plus aucun hôpital à Khan Younes n’est en service, et sans doute ne reste-t-il qu’un ou deux centres de santé en fonction. L’armée d’occupation a transféré une partie de ses forces en Cisjordanie, où elles sont dorénavant plus nombreuses qu’à Gaza. Elle reproduit dans les grandes villes, comme Tulkarem, Jénine, Hébron (Al Khalil), Qalqilya, les opérations militaires de destructions.
L’ensemble de cette situation doit être comprise dans son cadre politique plus large, à savoir les négociations pour un accord de trêve, qui se trouve être celui dont les grandes lignes avaient déjà été discutées lors d’une rencontre à Paris le 25 janvier entre les services de renseignements israéliens, étasuniens, français, et égyptiens : cessez-le-feu contre échange de prisonniers en trois fois durant 45 jours, avec comme ratio 1 Israélien contre 3 Palestiniens. Cela aurait conduit à la libération de 500 Palestiniens seulement, sachant qu’il arrive à l’armée d’occupation d’arrêter autant de Palestiniens en une journée. Les termes de l’accord étaient si flous qu’aucune garantie quant à la pérennité du cessez-le-feu n’était assurée au-delà de cette première durée. Lors de cette même rencontre, il a été décidé d’utiliser l’arme de la faim en coupant le financement de l’UNRWA pour forcer la résistance palestinienne à accepter cette proposition. En coordination avec les autres forces de la Résistance, Hamas a effectué une contre-proposition demandant que le cessez-le-feu soit permanent et que le ratio des prisonniers échangés soit de 1 à 30, dont un tiers de prisonniers politiques de longue durée et de personnalités. L’autre revendication figurant dans la contre-proposition porte sur l’entrée quotidienne de 500 camions de marchandises, l’acheminement de 20 000 habitations préfabriquées et 100 000 tentes, ainsi que la remise en fonction des hôpitaux. A quoi s’ajoutent l’arrêt des agressions sur Al Aqsa et celui des tortures et des punitions collectives qui n’ont cessé de se durcir depuis le 7 contre tous les prisonniers.
Ce 23 février s’est tenue une nouvelle réunion à Paris entre responsables israéliens, français, égyptiens, étatsuniens au terme de laquelle a été présentée une nouvelle proposition incluant l’augmentation du ratio de prisonniers échangés (soit 1 à 10), ainsi que celle du nombre quotidien de 200 camions entrant à Gaza et l’allongement de la trêve à trois mois. Mais cette trêve s’effectuerait encore une fois sans garantie de sa poursuite, sans acheminement des préfabriqués et des tentes ni la reconstruction des hôpitaux. Cette nouvelle proposition inclut également la libération de 200 prisonniers condamnés à perpétuité et personnalités mais aucune garantie, ici aussi, n’est avancée sur le nom de ceux demandés par la Résistance. En outre, les Israéliens insistent pour maintenir leurs forces à l’intérieur de la bande de Gaza, tout en quittant les grandes villes. Des menaces ont été clairement proférées en cas de refus de ces conditions par la Résistance palestinienne, à savoir de nouveaux massacres et la poursuite de la fermeture des routes pour les convois humanitaires. Par ailleurs, une nouvelle politique est à l’œuvre à l’intérieur de Gaza consistant à cibler toutes les forces civiles, en particulier la police palestinienne, afin de créer le maximum de chaos, ce qui se voit effectivement de manière plus accentuée lors des distributions alimentaires ou lors des récents affrontements qui ont eu lieu à la frontière égyptienne. En dépit de toutes ces pressions, la Résistance a refusé cette seconde proposition, défendant avec insistance leurs conditions, à commencer par un cessez-le-feu permanent, le retrait total des forces israéliennes de Gaza et la levée du blocus sur la nourriture, l’aide humanitaire et les préfabriqués. En parallèle, elle réussit à poursuivre les combats face à l’armée coloniale tout en renouvelant ses brigades. Une grosse partie de ses capacités s’est maintenue, à l’instar de ses stocks de munitions et ses tunnels. S’il s’agissait pour la Résistance armée de seulement continuer à faire face à l’agression, elle pourrait le faire, mais les pressions criminelles exercées sur les civils constituent une pression de poids. Jusqu’au 26 janvier, on comptait parmi les martyrs 70% de femmes et d’enfants ; depuis, cette proportion a encore augmenté.
Deux autres sujets importants doivent être abordés en vue de mieux saisir la situation politico-militaire. Commençons par ce qui se passe du côté de la frontière avec le Liban. Jusqu’à présent, la zone d’affrontement s’étendait sur 10 kilomètres de part et d’autre de la frontière. Mais voilà qu’Israël a bombardé Baalbek qui se trouve à 100 kilomètres, et en riposte, le Golan a été visé pour la première fois depuis la guerre de 1973 par Hezbollah. Cette logique d’escalade trouve son sens bien entendu dans le contexte des négociations qui se tiennent, rappelons-le, à l’approche du Ramadan. Le temps est donc compté tandis que l’alternative est simple : soit les conditions à l’acceptation du cessez-le-feu par le Résistance sont meilleures que celles proposées, soit on se dirige vers une escalade qui aura lieu aussi bien à Gaza qu’à la frontière avec le Liban. Le second sujet concerne deux décisions prises par le régime égyptien. A 300 mètres de la frontière avec Gaza, ce dernier a construit une zone d’une superficie de 20 km2 où sont implantées des tentes pouvant accueillir 100 000 personnes ; une seconde zone est en train d’être construite sur le versant maritime, également entourée de hauts murs au milieu du désert. Parallèlement, vient d’être annoncé tout récemment un accord de vente de terres égyptiennes au bénéfice des Emirats Arabes Unis, sur la côte méditerranéenne, près de la frontière libyenne, et cela pour le montant de 24 milliards de dollars. Si cette vente constitue une bouffée d’air financière pour un pays au bord de la catastrophe économique, elle doit aussi être vue comme un “pot-de-vin” en échange des installations à la frontière avec Gaza. Ces installations se présentent comme autant de prisons ayant pour vocation de permettre à Israël de « filtrer » ceux qui doivent être tués, arrêtés ou déplacés. Elles servent également à exercer des pressions supplémentaires sur la Résistance pour qu’elle abdique en acceptant les conditions israéliennes. Si la situation se présente de toute part très grave, il faut également envisager cette multiplication de moyens de pression comme l’indice que, pour Israël et les Etats-Unis, l’obtention d’un cessez-le-feu devient critique. Dans ces conditions, il faut continuer à défendre les trois principales revendications de la Résistance : l’arrêt du génocide, la levée permanente et totale du blocus et la libération des prisonniers. Notre soutien à cette dernière exigence concernant la libération des prisonniers est cruciale pour répondre au chantage relatif à la libération des prisonniers de guerre ou “otages” israéliens.
Pour finir, la situation propre à la Cisjordanie doit être rappelée. L’intensification de la violence à Jérusalem se manifeste notamment par l’interdiction faite aux Palestiniens musulmans d’accéder à l’Esplanade des Mosquées, tandis que les Palestiniens chrétiens sont aussi pris pour cibles aux abords des églises à Jérusalem et à Bethléem. Si ces interdictions persistent jusqu’au Ramadan, la Cisjordanie va basculer davantage dans la violence. Quant à la démission du gouvernement de l’Autorité Palestinienne, elle n’a aucune incidence politique puisque les gouvernements qui se sont succédé depuis une vingtaine d’années sont composés exclusivement de technocrates et aucun gouvernement formé sous Mahmoud Abbas ne changera la situation. Loin des petits calculs personnels et d’une orientation privilégiant ladite « solution à deux Etats », le seul et vrai enjeu politique est de constituer un gouvernement d’union nationale, représentative des différentes forces politiques palestiniennes. Trois courants coexistent au sein de l’Autorité Palestinienne : celui de Mahmoud Abbas qui défend des changements cosmétiques pour se conformer aux velléités des Etats-Unis ; un courant qui souhaite devenir un interlocuteur des régimes arabes via la figure de Mohamed Dahlan ; et un courant qui plaide pour la réactivation de l’Organisation de la Libération de la Palestine (OLP) en y intégrant Hamas. Ces trois options se disputent encore sans que l’une ne s’impose. Mais il est certain que la seule option tenable pour les Palestiniens est de démettre Mahmoud Abbas et de revoir totalement la ligne politique globale qui doit définitivement tourner la page Oslo.